Coup de théâtre au Mali
Jamais quatre sans cinq ?
Le 18 août 2020 des soldats mutins foncent, armés, dans Bamako la capitale malienne. C’est vers 18h que la nouvelle tombe : un coup d’Etat est en cours et le Président Ibrahima Boubacar Keïta (IBK) a été arrêté.
Déplacé dans le camp militaire de Kati (à 15km au nord de Bamako), il y prendra la parole,quelques heures plus tard, devant les caméras de la télévision nationale (ORTM à partir d’1min45). C’est dans la nuit qu’IBK apparaît, masqué, il remercie ses compatriotes et annonce sa démission, celle de son gouvernement et la dissolution de l’Assemblée Nationale. La suite des événements n’est plus de son ressort, mais celui de la junte militaire. Guidée par le Colonel Assimi Goïta, chef des Forces Spéciales maliennes. Goïta est aussi président du Comité National du Salut pour le Peuple (CNSP), dont le porte-parole est Ismaël Wague.
Wague est le numéro 2 de l’armée de l’Air, il promet, lors des ses interventions télévisées et au téléphone de France 24, une transition rapide. Il rejette par ailleurs l’appellation de coup d’Etat.
Au vendredi 21 août, soit trois jours plus tard, la junte militaire assure qu’une transition sera menée par un militaire ou un civil. L’ancien ministre de l’économie, Abdoulaye Daffé, et le secrétaire particulier du président, Sabane Mahalmoudou sont remis en liberté. Les frontières sont rouvertes, (bien que les pays frontaliers gardent les leurs fermées). Le personnel des Nations unies a pu rencontré Ibrahim Boubacar Keïta. Pour comprendre comment le Mali est devenu pour la cinquième fois le théâtre d’un coup d’Etat il faut s’intéresser aux 60 dernières années.
La politique au Mali.
Le Mali se fédère en juin 1960 et devient une République quelques mois plus tard, en Octobre. De 1960 à 2020; 5 coups d’Etat agitent le pays: 1968,1991,1992, 2012 et 2020. Pourquoi une telle instabilité politique? Avec le Dr Ibrahima Sangbo, président de l’Observatoire pour les élections et la bonne gouvernance du Mali nous tentons quelques éléments de réponse pour situer les événement récents dans un contexte géopolitique complexe.
La république du Mali, pays de l’Afrique de l’Ouest, est membre de l’Union Africaine et de la CEDEAO (Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest). De par sa position géographique et ses frontières, le pays est souvent le théâtre de conflits communautaires et d’affrontements djihadistes. Qui est IBK? Homme politique installé, il occupera d’abord les fonctions de Premier ministre (1994-2000), puis celles de président de l’Assemblée Nationale (2000-2007). Il est élu pour un premier mandat présidentiel en 2013.
En 2013, nous explique le Dr Sangbo, c’est l’homme de poigne que tout le monde attendait. Après le coup d’Etat qui renverse le président Amadou Toumani Touré (ATT) est renversé dans la nuit du 21 au 22 mars 2012.Les insurrections au nord du pays font rage. La région de Kidal est un lieu d’affrontement sous le pouvoir du groupe armé MNLA (Mouvement national de libération de l’Azawad).
Les élections de 2013 s’organisent et malgré les critiques et incidents, notamment sur la question des listes électorales, elle se tiennent à la date prévue. Au 1er tour du scrutin, IBK remporte près de 40% des suffrages, du jamais vu selon Dr Sangbo: jamais un candidat n’avait reçu autant de voix. Son avance sera confirmée au 2ème tour où il emporte 77,61% des suffrages exprimés. La Cour Constitutionnelle proclame les résultats en avril 2013.
Avance rapide jusque 2018, année d’élections: présidentielle et législatives. IBK brigue un deuxième et ultime mandat. Pour la 1ère fois de l’histoire, nous indique Dr Sangbo : “le Président sortant n’est pas réélu au premier tour.” Face à lui: Soumaïla Cissé. IBK finit par emporter la victoire avec 67,17% des voix.
Du président élu au président déchu? Politiques et gouvernances
Comment IBK est-il passé de l’homme de la situation, à la raison d’une mutinerie? Selon le Dr Sangbo, “les espoirs placés en lui sont retombés. Il ne faisait, tout simplement, pas le travail.” Les élections législatives qui devaient se tenir après la présidentielle de 2018 n’ont tout simplement jamais eu lieu. On a commencé avec un report de 6 mois, puis un nouveau report de 11 mois.
Finalement prévues pour le mois de mars 2020, afin de laisser le temps au gouvernement de préparer une réforme constitutionnelle, c’est cette fois l’enlèvement du chef de l’opposition Soumaïla Cissé quatre jours avant le 1er tour et l’épidémie de Covid 19 qui mettent en pause toute tentative de renouvellement de l’Assemblée Nationale. L’Observatoire de Gouvernance rapporte jusqu’à 110 plaintes de députés (sur un collège de 147) au sujet des délais et des reports. L’administration est considérée comme fautive, partisane et responsable de cette prolongation incessante des mandats électoraux.
Les forces extérieures.
Des forces armées d’intervention militaires sont présentes au Mali et ce depuis 2013. Parmi elles ont compte la Minusma (Mission multidimensionnelle intégrée des Nations-Unies pour la stabilisation au Mali), la CEDEAO, la France (opération Serval remplacée par l’opération Barkhane). Ces interventions étrangères ont pour mission d’aider au maintien de la paix, de permettre une reprise de contrôle de l’ensemble du territoire malien (selon le Dr Sangbo, seul 25% du territoire serait effectivement contrôlé par le Gouvernement).
Présence n’est pas synonyme d’efficience: les critiques envers la CEDEAO sont nombreuses. Pour le Dr Sangbo, elle n’a pas “réussi à apprécier le processus malien, il n’y a eu aucun dialogue. Lorsque l’État de droit était violé par la prolongation des mandats, qu’a t’elle fait ?”.
Les médiateurs de la CEDEAO visitent le Mali en juillet dernier, lorsque la crise socio-politique fait rage. Face à elle: le Mouvement réformateur du 5 juin et le Rassemblement des forces patriotiques (M5/RFP), qui exigent déjà la démission d’Ibrahim Boubacar Keïta. Cette rencontre, menée par Goodluck Jonathan (ex-président nigérian) ne produira aucun résultat. Le seul constat dressé, c’est que la situation est compliquée.
Aucunes concessions n’étant faites, les événements d’août 2020 semblent être la suite logique de plusieurs mois de contestations. Quant au rôle de la CEDEAO? Décrié par les uns, encensé par les autres, ce qui est clair c’est que les avis sont partagés. Certains en viennent même à la qualifier de “syndicats de chefs d’états africains, de mafia”. La Minusma ? De faux amis…
Cet article s’inscrit dans une série permettant de découvrir l’état des démocraties en Afrique.